DÉBUT DU JEU DE DUPES

CHRISTOPHE EST VIVANT… LÉGALEMENT

Nos journées s’emplissent d’activités nouvelles. Après avoir découvert le monde des apostilles, nous passons à celui des personnes disparues. Surprise ! L’approche légale est plus complexe. Christophe n’est pas disparu. Ce terme s’applique en l’absence de corps, alors que l’on connaît les circonstances de la mort au-delà de tout doute raisonnable. Par exemple, après la chute d’un avion sans survivant possible. Alors le passager est qualifié de personne disparue et légalement considéré comme mort.

Christophe, lui, est officiellement vivant, mais il faut un jugement le déclarant en présomption d’absence, donc établir le dossier et passer devant un juge. Cette présomption d’absence dure dix ans, sauf élément nouveau (réapparition de la personne, morte ou vive). Dix ans de situation figée. Par exemple, Dina reste légalement mariée à Christophe, et les biens et affaires de Christophe doivent être conservés et protégés. Un tuteur doit être nommé à cet effet. Nous verrons cette procédure interférer avec notre nouvelle vie.

La disparition (au sens familier) de mon frère  nous plonge dans une nouvelle vie, repeinte en couleurs sombres, ternes, sous des lumières pâles et vacillantes.

UNE QUESTION LÉGALE QUI NE SERA PAS À LA GLOIRE DE LA POLICE FRANÇAISE

Le 18 octobre j’envoie un courriel à Me Sologoub. Pierre s’inquiète de la légalité des informations transmises par Paul Dupuy, le confident de Christophe. Comment faudrait-il légaliser ce témoignage pour qu’il soit utilisable par un tribunal russe ? Outre cette question légale il y a un certain degré d’urgence. Paul a 91 ans et souffre d’un handicap visuel très important. Il est très alerte intellectuellement, mais tout de même, le poids des années, la fragilité du grand âge… nous ne voudrions que cette pièce maîtresse de notre dispositif se perde, à peine découverte.

Nous verrons par la suite combien Pierre avait raison de s’en préoccuper. Et ce ne sera pas à la gloire de la police française !

DÉBUT D’ENQUÊTE EN RUSSIE

Ce même jour, la police russe sait que Christophe n’a pas été enregistré au départ de Pulkovo, l’aéroport de Saint-Pétersbourg, depuis le 20 août.

L’enquête va débuter, une perquisition est prévue, ainsi qu’un nouveau procès-verbal d’audition pour Dina et Christina. Avec ces nouveaux éléments nous laissons de côté l’hypothèse d’un détective privé. L’ordinateur de Christophe devient une pièce à conviction. D’un côté c’est très bien. Espérons qu’il pourra « parler ». D’un autre côté, nous aurions aimé pousser le bouchon un peu plus loin, voir ce que Dina était prête à lâcher au sujet de cet ordinateur. Tant pis, ne prenons pas la place de la police russe. Elle connaît mieux que nous son travail.

DINA SE POSE ET NOUS POSE DES QUESTIONS D’ARGENT

Ce même soir, Skype avec Dina : Elle est allée à la banque. Il y a trois comptes, l’un d’environ 30 000 euros, l’autre, dédoublé en 1000 et 3000 dollars pour une question de limite de dépôt ; le troisième, en roubles, pour environ 20 000 euros. Cependant, la dame manager étant absente, Dina doit revenir pour avoir plus de détails sur la gestion des comptes.

Nous comprendrons au procès la manipulation cachée derrière ce compte-rendu d’apparence normale, et surtout derrière l’absence de cette « dame, manager », vers qui Dina souhaitait se retourner pour faciliter la gestion du compte. Pour l’instant, dans ce jeu, nous sommes les dupes.

Ici, Pierre reprend le contrôle du dialogue sur Skype.

Immédiatement après, Dina s’interroge – nous interroge – sur la visite d’une dame dans la cour de Tverskaya qui a demandé des nouvelles de Christophe. Elle aurait dit venir de la part de la famille de France.

Je comprends bien qu’il s’agit de l’amie de l’amie qui… mais pas question de lâcher l’information. Puisque nos autorités françaises sont aux abonnés absents, autant s’en servir. Je réponds qu’il doit s’agir de quelqu’un venant de la part de la police française, ou du ministère, ce qui serait logique, puisque nous sommes allés leur demander de l’aide. Mais nous ne sommes au courant de rien !

Dina semble satisfaite. Il serait étrange qu’elle ne le soit pas. En tant qu’épouse du mari disparu, elle doit jouer ce jeu, et d’un autre côté, elle sait très bien que les « autorités françaises » dont je viens de parler n’iront pas plus loin. Je lui promets de la tenir au courant si j’ai des nouvelles. Jeu de dupes, d’accord, mais chacun son tour !

Nous revenons à la santé de Christina, qui a une sorte d’allergie, “peut-être due à des radis”, au temps, etc. La santé des enfants est un puits sans fond qui permet toutes les évasions.

Mais Dina, mère préoccupée de bobos, doit se positionner en tant qu’épouse, et interlocutrice de la sœur du disparu. Une fois de plus, elle affirme ne pas comprendre ce qui a pu se passer.

Alors, revenant aux questions financières, elle dit avoir reçu un avis de paiement de taxes en France et ne savoir qu’en faire.

Si elle attendait une bouée de secours des braves imbéciles, elle va être déçue :

— Nous non plus ne savons que faire, car des factures vont venir.

Dina, à sa façon, propose de chercher de l’aide :

— Je devrais aller voir un conseiller. Ici Christophe payait des taxes comme entrepreneur. Le conseiller devrait savoir.

Pas question de sembler refuser une aide si gentiment proposée. J’affirme donc ne rien savoir sur ces taxes professionnelles en Russie (et c’est totalement vrai), mais j’en profite pour revenir sur les taxes foncières et d’habitation de Newton. J’en rajoute sur les sommes dues pour le ravalement.

— Quand attendent-ils l’argent pour les réparations ? demande-t-elle.

Cela l’inquiète. On le serait à moins. Mais mon rôle est d’insister sur la procédure :

— Barbara va voir.

— C’est une grosse somme. Je ne sais pas comme cela fonctionne.

Je rajoute une pincée d’explications pessimistes, à partir de la réalité. Chacun son tour :

— Pour le 4e trimestre, l’appel est au 1er septembre. C’est très élevé : plus de 7000 € pour le ravalement et 800 € pour les charges habituelles. Pour l’instant, ça va. Ici, ils demandent trois fois, et après, c’est la loi qui intervient.

— Peux-tu voir quelqu’un ? Interroge Dina.

— Je ne sais pas s’il est bon de leur dire maintenant…

Il est grand temps d’enfoncer le clou. Je lui brosse un tableau ennuyeux. Bien sûr, nous pouvons demander de l’aide, mais cela peut avoir des conséquences sérieuses, une nouvelle enquête. Nous pourrions demander à un avocat, mais cela coûte cher.

— On pourrait demander au consulat, risque Dina…

Je contre, et monte les enchères :

— Pas la peine d’y compter. Dès qu’il s’agit d’argent, ils refusent. Nous sommes coincés. Si Christophe vit, ce sera simple. Mais s’il est mort, une personne légale prendra en charge les biens et vendra tout pour payer les factures.

— Ici en Russie, c’est différent. Je voudrais parler avec ce conseiller. Que se passerait-il si nous ne payons pas ?

Je sens la crainte monter en elle. Autant faire le sourd :

— Pourquoi pas ? Jusqu’à présent l’électricité est payée. Nous payons pour le téléphone.

— Si tu stoppes ?

— Là, nous payons. Mais si c’est inutile nous fermerons l’abonnement. Nous avons un petit espoir. Nous faisons comme s’il devait revenir. Mais nous sommes anxieux et obligés d’aller à la police. J’espère qu’ils font quelque chose.

— Ici s’ils n’ont rien de nouveau, ils ne parlent pas.

— Nous avons un petit espoir, car il y a de la tension politique entre France et Russie. Notre ministère des Affaires étrangères était évasif. Alors la police a accepté de prendre notre déclaration.

La suite me montre que je vise juste :

— Déclaration ?

— Oui, pour démarrer l’enquête. Pour les ministères, je ne sais pas, mais j’espère que la police agira. Le policier était très troublé. Il a voulu agir. Donc nous espérons que quelque chose commencera. Je sais que c’est difficile mais nous ne pouvons rien faire de plus.

Elle soupire, et poursuit, manifestement ébranlée :

— Je ne sais pas comment payer. Je peux terminer les réparations, et louer cet appartement, pour payer les factures, je ne sais pas, est-ce que cela a un sens, c’est dans le centre, je ne connais pas les prix. Je ne peux rien faire de plus, ici.

— Je ne sais pas si légalement tu peux le faire.

— Oui, mais on peut trouver quelqu’un grâce à une amie, Victoria. Elle travaille comme agent immobilier, elle pourrait aider pour les papiers, ne pas demander trop cher. Ici aussi, il faut payer des factures, elles ne sont pas aussi élevées, mais…

Je lance un peu de fumée :

— Si tu loues l’appartement, où vivras-tu, toi ?

— Il s’agit de Moyka.

— Ah oui ! Là où la peinture n’est pas bien.

— Pas la peinture, il y a des fissures dans le mur…. ils n’ont pas bien nettoyé avec des abrasifs… ils ont mis un câble électrique, ils devaient replâtrer, et le sol est très froid, nous avons pensé à le changer pour une meilleure isolation, et quand ils ont enlevé le sol, le dessous était en mauvais état… à cause de la structure ancienne, en bois, c’est dangereux, il faut poser une nouvelle couche, etc.

(Nous découvrirons par la suite l’énormité de ses mensonges).

S’ensuivent des détails concernant la chambre de Christina. Une fois de plus, Dina s’échappe d’appartement en appartement, mais je sens bien que le risque d’une vente à perte de Newton et d’une enquête l’a déstabilisée.

Elle retombe sur ses pieds dans le rôle de la femme perdue, mais on entend bien qu’à ce moment elle dit la vérité, sa vérité :

— Je ne sais que faire.

(À SUIVRE)

 

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