CONSULAT DE SAINT-PÉTERSBOURG, SEPTEMBRE 2013 (SUITE)

Voici la suite de notre conversation téléphonique du 11 septembre 2013 avec le consulat de Saint-Pétersbourg. Je rappelle les remarques initiales de l’article précédent sur le “monde” qui sépare notre correspondant de septembre 2013 et notre équipe actuelle.

 

Le téléphone est passé sur une autre ligne. Une minute plus tard, l’entretien reprend avec un nouvel interlocuteur.

Une fois de plus Pierre se présente (nom et profession, téléphones déjà donnés, adresse internet, etc.), puis explique les raisons de notre extrême inquiétude : la situation professionnelle, familiale, les habitudes, nos relations, les révélations du vieil ami, en bref, notre témoignage concernant cette disparition totale.

Le ton de mon interlocuteur fait plus professionnel, mais aussi plus incisif que celui de son collaborateur. Il se veut homme d’action :

« […] On va faire plus rapide, Monsieur, qu’attendez-vous du consulat général de France ?

Tiens ! Enfin, une oreille attentive ? Pierre ose demander si le consulat général de France peut vérifier si Christophe Sion est toujours vivant, ou s’il est parti du territoire russe.

C’est les montagnes russes, mais en version consulaire ; après une montée rapide, la descente :

« Et comment-voulez-vous qu’on fasse cela, Monsieur ? »

Maintenant, Pierre suggère les services d’un office quelconque, un service ad hoc. Il n’aurait pas dû. La voix, de plus en plus professorale supérieure l’informe que ces données ne sont transmises que lors d’une affaire judiciaire, que cela échappe au consulat, et « il ne s’agit pas du territoire français. »

Ah ! Au moins nous aurons révisé notre géographie. Mais, puisqu’une perche judiciaire est tendue, Pierre la saisit :

« Dans ces conditions, vous me dites qu’il faut mener une opération, quelque chose du domaine de la police judiciaire. C’est bien cela ? »

Une fois encore, nous pourrions croire à une éclaircie dans le brouillard, car après une nouvelle leçon de géographie politique, un renseignement arrive: 

« Si quelque chose doit être fait, c’est auprès des autorités russes, mais pas auprès des autorités françaises. »

« Alors comment pouvez-vous m’aider ? »

Cette demande d’aide, Pierre n’arrête pas de la formuler. Une fois de plus, il va avoir la réponse bateau :

« […] Ce que nous pouvons faire, et je le ferai bien volontiers, c’est de le contacter par email, ou éventuellement le contacter par téléphone, avec les moyens qui nous ont été donnés par cette personne, et uniquement cela, rien d’autre, Monsieur. »

Fermez le ban. Rompez. Le professeur est devenu adjudant (version Flick de Courteline). Il avait évoqué « quelque chose auprès des autorités russes », ce qui reste bien vague, inopérant, et loin de tout début d’aide réelle. Peut-être a-t-il eu peur d’aller plus loin ? Ou ne savait-il plus trop quoi dire ? Le disque rayé a repris. Alors, Pierre se dit qu’il ne risque rien à relancer le débat ?

« Vous ne pouvez pas aller voir sa femme et lui demander ce qui s’est passé ? Quand est-il parti ? Rien que “Quand est-il parti ?” »

Maintenant nous savons ce que nous risquions. L’interlocuteur se lance : le film catastrophe, la séquence inversée de l’agent diplomatique consulaire russe venant chez moi, en France, pour me demander où est mon épouse russe.

Et après avoir écrit le scénario, il fait l’acteur :

« Vous n’imaginez même pas la réaction que vous auriez. Moi je peux vous le dire… »

Le bonhomme a manqué sa vraie carrière : mauvais scénariste, ou mauvais acteur, ou les deux. C’est pourquoi Pierre entre dans le film :

« Non vous ne pouvez pas le dire. »

Mais l’autre est trop pris dans son rôle pour écouter, il est lancé dans la tirade qui mêle son numéro improvisé et sa fonction consulaire :

« Mais on n’a rien à vous dire Monsieur, en plus, sachez que tout ceci relève de la vie privée, c’est un principe de base là encore dans notre fonctionnement républicain, je n’entre pas dans la vie privée, sur simple demande d’une personne tierce, par ailleurs. »

Cette fois, il faut vraiment aller plus loin. Certes, Pierre est le seul à parler, mais moi j’écoute. Je suis trop émue pour tenir le coup face à ces « portes de prison » qui s’ignorent. Je suis obnubilée par le fait que notre famille ne donne plus aucune nouvelle, non seulement Christophe, mais aussi Dina, sa femme, et la petite Christina.

Pierre revient à la réalité … si toutefois ce genre de personnage peut y être sensible. Il explique que je risque de craquer – moi, c’est-à-dire la sœur – et redemande une aide car, dit-il : « Je ne suis pas un juriste mais j’ai quand même l’idée qu’un consulat doit aider les Français à l’étranger. »

Et là, l’extraordinaire du culot atteint son extrême :

« Ah mais bien sûr, nous aidons tous les Français effectivement qui sont en difficulté. »

Et si encore, il s’en tenait à sa leçon bien apprise ! Mais non ! Monsieur le professeur de géographie politique, de cinéma, verse tout de suite dans la psychologie :

« Actuellement, l’exposé que vous me faites ne fait montre d’aucune difficulté éventuelle rencontrée par ce monsieur. Ce sont simplement des suppositions de votre côté, ce que je peux comprendre, la distance, l’éloignement ne fait qu’amplifier effectivement les angoisses, il y a des scénarios qui ont peut-être… »

Une fois de plus, les « suppositions » ! C’est déjà irritant en soi, surtout avec le ton supérieur.

C’en est trop ! Ce que Pierre craignait arrive. Face à ce déluge d’inepties et de manque de compréhension élémentaire d’une situation dramatique, je craque. Je prends la parole, ou plus précisément, ma voix rompue par l’émotion et les pleurs qui montent se fait suppliante :

« Monsieur vous ne comprenez pas, on était en contact tout le temps, régulièrement, là il n’y a plus rien, plus rien, plus rien du tout, il ne répond plus aux mails, il a disparu, vous ne comprenez pas… » et je suis vaincue par mes pleurs.

Alors, là-bas, de son bureau de chef, le manque de psychologie continue :

« Madame, vous m’excuserez, je comprends votre douleur, je comprends effectivement votre comportement et votre perte de contrôle surtout, mais ce que je vois c’est qu’il y a effectivement une situation matrimoniale entre ce monsieur et son épouse qui est délicate. On peut imaginer, plutôt que d’imaginer le pire, on peut penser que leurs relations sont si tendues que le quotidien de l’un et de l’autre leur font totalement oublier les habitudes. »

Décidément, il y a des remises à niveau professionnelles qui s’imposent. Évidemment, toujours débordée d’émotion, je ne peux que reprendre :

« Mais non Monsieur, parce que c’est ça qui dure depuis un moment c’est pour ça qu’il loge à Moyka, c’est ce que nous a dit son ami qu’il appelle toutes les semaines, à qui il s’est confié. En appelant Moyka on n’a pas de nouvelles parce que de Paris, quand j’appelle Paris, je sais que son numéro est relié à son appartement de Moyka et on n’a plus de nouvelles. (bruits de paroles derrière que peut-être je préfère ne pas comprendre) on n’a pas de nouvelles, vous ne comprenez pas ça… ?

Et une couche de plus de bêtise à tendance hiérarchique :

« Madame, baissez un peu le ton s’il vous plaît, Madame ! »

Je m’effondre. Ailleurs, le goujat mériterait une leçon. Au téléphone, il va au moins sentir le vent du boulet que Pierre lui balance :

« Non, écoutez, c’est vous qui allez baisser le ton ! »

Il n’a pas l’habitude qu’on le renvoie dans ses buts, le petit monsieur habitué au « cirage de pompes ». Il se calme aussi vite qu’il s’était cru capable de donner des ordres :

« Je voudrais simplement qu’on essaye de parler simplement et intelligemment. »

Pierre lui rappelle les fondamentaux :

« Alors Monsieur, si on commence intelligemment, il y a plusieurs choses. Premièrement, j’ai eu la politesse de me présenter, j’aimerais que vous ayez la même relation. Ça c’est une chose. »

« Je suis M. B…, je suis consul adjoint ici. »

Eh bien ! Enfin ! La prochaine fois, peut-être saura-t-il se présenter ? Pierre continue :

« Deuxième chose, vous avez employé le mot supputations, je ne suppute rien, j’offre à votre raisonnement des faits. Nous n’avons plus aucun contact avec une personne qui professionnellement doit avoir des contacts. Imaginez que le consul de France soit brutalement injoignable pendant un mois, qu’est-ce que vous diriez ? »

« Étant son proche collaborateur, mais la situation ne se présente pas, il est évident que nous prendrions des mesures. »

« Eh bien voilà, c’est ce que je vous demande. »

Croyez-le si vous voulez, il relance son disque rayé :

« … Mais pas des mesures juridiques, Monsieur… Essayez de comprendre parce que ça devient un peu pénible. [Parlant de pénible… !] . Je vous rappelle que nous ne sommes pas officiers de police judiciaire, que nous sommes sur un territoire étranger, et qu’en aucun cas un agent diplomatique du consulat est à même de mener une enquête qui s’apparente ni plus ni moins à une enquête judiciaire. Je suis navré Monsieur… »

« Alors aidez-nous à mener…

« Ce qui s’applique dans notre pays s’applique également en Russie. »

« Alors ma question est maintenant précise, voulez-vous nous aider à mener cette enquête judiciaire ? »

« De quel ordre Monsieur, de quel ordre ? »

« Eh bien je demande… »

« De quel ordre dans une enquête judiciaire… moi ce que je peux faire, éventuellement, c’est vous mettre en contact avec un avocat, sur place, ça, c’est possible ».

Ouf ! Tout ça pour en arriver là. Il suffisait d’une phrase. Elle ne doit pas exister en langage administrativo-consulaire, ou si elle existe, il faut l’extraire au forceps.

Mais la suite est encore plus explicative, de la part de cette personne qui affirmait de toute sa raideur, quelques minutes auparavant « aider tous les Français en difficulté ». Comme nous avons au moins obtenu un début de réponse, Pierre tire la ficelle :

« Bon ! »

La prudence bureaucratique reprend le dessus :

« Il s’agit là encore d’une affaire privée, Monsieur. »

Pierre ignore le brouillage et poursuit :

« Cet avocat peut nous aider à nous mettre en relation avec les personnes adéquates qui peuvent lancer une opération judiciaire. »

« Je suppose, je suppose… »

« Bien, j’imagine que cet avocat parle français, je ne parle pas russe. »

« Ah, oui, bien sûr. »

« Bien, quel autre moyen avez-vous de nous aider ? Par exemple avez-vous un numéro de téléphone à qui nous pouvons téléphoner, justement pour la partie policière russe ? judiciaire… à part l’avocat ? »

« Non je ne vois pas. »

Et comme il doit comprendre qu’il perd pied, croyez-le ou non, il ose recommencer :

« Bien, je vous dis. La seule possibilité que nous avons est d’essayer de contacter l’intéressé par les moyens que lui-même nous a confiés, puisqu’il est inscrit au registre du consulat de France, je crois, c’est-à-dire son adresse postale, son adresse éventuellement email, et un éventuel contact téléphonique. Au-delà de cela, Monsieur, l’entrée dans la vie privée des gens, et je suis désolé, nous sommes fonctionnaires de l’État français, et nous devons respecter, tous autant que nous sommes, et nous en premier, les règles républicaines ; en aucun cas je n’interviendrai plus avant dans la vie privée d’un tiers. »

« Bien, je prends note de cela. Pouvez-vous nous donner les références de cet avocat, s’il vous plaît ? »

« Alors, je ne les ai pas sous la main. Si vous voulez bien m’envoyer un email ce sera plus rapide dans ce cas. »

« D’accord. »

« Je vous répondrai par email. »

« Je prends votre email. »

Le ton est redevenu normal, mais, pour être franc, Pierre y a mis du sien. La chaudière commençait à bouillir. On pourrait croire que la conversation s’arrête là. Pas du tout. Elle reprend plus apaisée, mais tout aussi bloquée dans le fond.

Monsieur le consul adjoint précisera que si Christophe vient lui faire part de menaces, ou de craintes, il le recevra, pourquoi pas, mais vraiment « à titre informatif » car « nous sommes dans un territoire étranger sans prérogatives judiciaires et policières. »

Peut-être sommes-nous bêtes à ignorer encore la localisation russe de Saint-Pétersbourg ? Mais gardons un des meilleurs moments psychologiques pour la fin, et redonnons la parole à notre consul-adjoint.

« Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise, Monsieur ? Ma carrière m’a permis malheureusement de constater que même les gens les plus sages et le plus respectables font parfois des choses, absolument incroyables. Et là encore par expérience je ne m’arrêterai malheureusement pas à votre appréciation de la situation. Tout peut arriver, tout. Vous parlez d’un problème matrimonial majeur, vous ne pouvez pas savoir ce que les gens, qui restent des êtres humains, quels que soient leurs situations professionnelles peuvent effectivement faire dans de telles circonstances. »

Au point où nous en sommes, il faut bien que Pierre lâche la vapeur. Il lui explique qu’il a professionnellement participé à beaucoup de cas psychiatriques, et qu’il sait que tout est possible.

Le consul adjoint croit tenir sa victoire :

« Voilà, vous entendez. »

Alors, en l’amenant sur un autre terrain, Pierre reprend la main. Sans négliger la possibilité d’un raptus à implications judiciaires, il dresse un tableau factuel de la situation, associé à un schéma psychologique de Christophe, pour conclure qu’il ne peut s’agir que d’une disparition inquiétante.

Moi, je me suis assez calmée pour enfoncer le clou : Christophe m’avait dit qu’il ne se déplacerait pas avant le 13 novembre, l’anniversaire de Christina, auquel il tenait à participer. Tout se combine pour dire qu’il a disparu.

Après les différentes formules de politesse – aussi consensuelles qu’hypocrites – nous coupons la communication, et je manque m’effondrer.

 

Aujourd’hui, en 2019, je ne peux reprendre certains passages de cette communication sans que l’émotion ne renaisse.

Après mûre réflexion, nous avons tenu à la reprendre de façon aussi détaillée que possible pour différentes raisons.

Je rappelle notre ligne de force : décrire l’histoire naturelle d’un crime mettant en jeu des pays et des nationalités différentes.

En ce sens, nous sommes parties prenantes… prenantes de coups dans la figure… et ils ne nous ont pas manqué.

Il est extravagant de constater à quel point l’appel à l’aide consulaire dans un cas très grave, dramatique, entraîne toute la série des dysfonctionnements possibles :

  • La non-réponse,
  • Le mépris,
  • Les tentatives de « noyage de poisson »,
  • Le « passage de patate chaude »,
  • Le verbiage bloquant,
  • Le ton docte et lointain de celui qui sait et fait sentir combien on le dérange,
  • Les fautes psychologiques,
  • L’impolitesse,
  • L’incapacité ou la non-volonté d’apprécier la situation à sa juste valeur

En pratique, la bonne réponse tenait en deux phrases :

  • Il faut prendre contact d’urgence avec un avocat russe qui sera votre correspondant sur place,
  • Parallèlement, porter plainte en France

Nous aurions aimé entendre ces deux phrases avec un minimum de compréhension humaine.

Si Pierre a réussi à extirper le mot avocat au consul adjoint, l’information sur la plainte à la police française manquait.

Il aurait même suffi que ces deux phrases soient écrites sur le site du consulat français de Saint-Pétersbourg.

On y trouvait bien une rubrique intitulée aide, et même les noms et adresses de quelques avocats bilingues. C’est d’ailleurs sur cette liste que nous choisirons notre avocat.

Aujourd’hui, le site a été modernisé :

  • La rubrique aide n’existe plus,
  • La liste des avocats, et même des interprètes a disparu,
  • Les deux phrases les plus pratiques expliquées ci-dessus brillent par leur absence.

Au moins, d’une certaine façon, c’est dit :

Manant ! Passez votre chemin !

Et le courriel que nous recevrons, modèle de diplomatie prestidigitatrice, conclura cet échange sans jamais rien apporter de concret.

PS : Pardon pour l’image de “l’adjudant Flick”. Les vrais adjudants, formés à la dure école de l’armée et servant le pays, méritent notre respect.

VIDÉO DE M6 ÉMISSION 66 MINUTES

Chers amis signataires,

À voir ou à revoir, pour nous accompagner, réfléchir, et nous aider, voici le lien vers l’émission 66 minutes, diffusée par M6.

https://youtu.be/wb2Tj4Uhp00

Pensez à le diffuser à vos connaissances, amis, relations.

Quel que soit le résultat de notre action pour sauver Christina, cette histoire doit être connue.

Merci pour votre aide, sans oublier M6 et sa production, et tous ceux qui ont participé,

Pierre et Barbara

 

 

 

 

 

 

 

 

 

CONSULAT DE SAINT-PÉTERSBOURG SEPTEMBRE 2013

Le passage de la chronique que vous allez lire ne correspond en rien aux relations que nous avons entretenues avec les consulats de Saint-Pétersbourg et de Moscou, depuis 2017, qui sont aidantes, polies, compréhensives, confiantes.
Nous remercions et remercierons longtemps ces dignes fonctionnaires, qui, en plus, savent se montrer humains.

Cela étant posé…

Ayant souvent voyagé à l’étranger dans des conditions inhabituelles, je sais que le consulat français doit être une bouée de secours en cas de danger. Je dis bien « bouée de secours » et non «  équipe de commandos marine ». Nous allons donc demander de l’aide – ne serait-ce que frapper à la porte de la famille : y a-t-il du monde ? – et comme nous ne parlons pas russe et n’avons aucun contact là-bas, nous aider à trouver un service russe adéquat.

Cela semble simple, évident. Mais quelques coups de téléphone démontreront le contraire. En voici les preuves, avec nos commentaires.

En 2013, le site web du consulat a au moins une rubrique où signaler une urgence.

Je laisse la parole à Pierre. Je ne suis pas de taille, je le sais. Déjà en temps normal, je suis trop gentille, je me laisse manipuler. Là, les larmes aux yeux, en faiblesse, que ferai-je ?

8 SEPTEMBRE 2013

Bien que les horaires officiels soient dépassés, ce 8 septembre 2013, Pierre tente le coup. La sonnerie tombe dans le vide sidéral et bureaucratique. Inutile d’insister, même pour le numéro des urgences !

9 SEPTEMBRE 2013

Le lendemain, nouvel appel. Une voix que Pierre dérange manifestement écoute à moitié (soyons optimistes) et lui dit de rappeler. Ce qu’il fait quelques heures plus tard. Maintenant, ce correspondant montre par ses réponses évasives qu’il se moque comme d’une guigne de notre histoire. Il n’y a plus de gants à prendre, Pierre lui demande de prévenir sa hiérarchie. À côté de lui, je suis écœurée de ce comportement lamentable.

10 SEPTEMBRE 2013

Le lendemain 10 septembre dans l’après-midi, nouvel appel. Un semblant d’honnêteté ou d’ouverture de parapluie doit émerger car le correspondant précise que son supérieur « n’a pas eu le temps de s’en occuper, mais qu’il se permettra d’appeler tout à l’heure M. Sion pour avoir des nouvelles et lui demander de vous rappeler. »

C’est l’incompréhension totale. Il faut forcer le barrage. Pierre reprend l’histoire en précisant bien que nous craignons un drame familial majeur.

Le correspondant (Pierre a tout de même demandé son nom, car « chez ces gens-là Monsieur, » on n’dit pas, Monsieur, on n’dit pas…[1] » lui coupe la parole :

« Cela arrive ce genre de situation, Monsieur, il est peut-être un peu tôt pour s’alarmer quand même… ». Un peu tôt… presque un mois !

Je vois Pierre prêt à sursauter, se contenir et reprendre son plaidoyer, ce qui amène l’autre à dire qu’il fera « des recherches ».

On sait ce que parler veut dire pour certaines personnes. Pierre n’est pas dupe, et enfonce le clou en insistant sur l’incohérence du courriel reçu par la messagerie au nom de Dina.

L’interlocuteur consent enfin à prendre notre numéro de téléphone, déclare comprendre (c’est fou ce que ces gens comprennent !), faire des recherches, appeler Dina, et que si nécessaire « on dépêchera quelqu’un sur place ». D’ailleurs, « s’il était décédé on aurait été averti rapidement. Les consulats sont prévenus immédiatement. »

Fin de conversation sur sa promesse de nous rappeler avec des informations. Nous sommes un peu soulagés qu’il évoque l’hypothèse « d’envoyer quelqu’un sur place ». Dieu ! Ce que nous sommes naïfs, parfois ! Dieu ! Comme le désespoir nous fait prendre des vessies pour des lanternes, et des bureaucrates pour des hommes ! La preuve nous attend.

11 SEPTEMBRE 2013

Nous rappelons M. L. au consulat.

Son ton est hésitant, gêné : Il en a « référé à son chef de service » (brave toutou ! On n’informe pas, on réfère… on révère presque). Il déclare avoir essayé d’appeler (nous essayons depuis un peu plus longtemps que lui, il n’a pas dû comprendre), mais tente de me faire admettre qu’il n’ira pas plus loin, et qu’il ne sollicitera pas la police russe. Sa proposition précédente « d’envoyer quelqu’un sur place » est passée aux oubliettes.

Pierre exprime son incompréhension devant cette volte-face. Si le consulat ne peut pas intervenir, il demande clairement « Qui peut intervenir, et que faut-il faire ? ».

À question simple, réponse simpliste : « Il est difficile de prévenir la police russe qui est la seule compétente pour mener une enquête, ici sur le territoire russe, ici on est en pays étranger. (Admirons la belle leçon de géographie et de stratégie : il est donc difficile pour un consulat français de nous mettre en relation avec la police du pays. Cette leçon, nous n’avons pas fini de l’entendre, serinée sur tous les tons. Chez ces gens-là, Monsieur, on n’fait pas, Monsieur, on n’fait pas…[2])

Pierre ose aller plus loin : il demande s’ils peuvent simplement vérifier si Christophe est sorti de Russie. Cela modifierait radicalement l’histoire. Alors là, il n’aurait pas dû envisager de telles extravagances :

 « Non, ce n’est pas qu’on ne veut pas faire. Mais comme je vous l’explique on ne peut faire que certaines choses. Nous ne sommes pas en métropole donc… au bout d’un moment on intervient dans une forme d’ingérence sur le territoire russe qui n’est pas souhaitable… »

Si je comprends bien, nous ne sommes pas en métropole (merci Monsieur le géographe !) et on risque un incident diplomatique ?

Rappelons que nous sommes sans nouvelles de toute une famille dont le père est français, l’épouse russe, et la petite fille française et russe. On pourrait imaginer que les Russes soient justement préoccupés du sort de leurs ressortissantes (mère et fille) à supposer qu’ils ne le soient pas du père français (l’avenir nous montrera combien cette hypothèse sera fausse).

Pierre monte le ton :

« Alors on peut se faire tuer sans que regardiez ? Qu’est-ce que cela veut dire pour un consulat ? Je vous dis qu’il y a quelque chose d’énorme derrière, d’énorme pour nous, à savoir la disparition de quelqu’un qui devait être là, d’un professionnel qui a des responsabilités dans une société, quelque chose de grave. »

Le ton fléchit de l’autre côté :

« Je pense qu’il faut prendre contact auprès des autorités russes pour leur signaler ça. »

Il pense (peut-être, mais de là à fournir la moindre aide, il y a un pas.) Pierre veut mettre les points sur les i.

« C’est quand même très simple aujourd’hui de savoir. On me dit qu’il est parti en voyage par avion, il n’est quand même pas parti en bicyclette depuis Saint-Pétersbourg, c’est quand même le B-A BA. On ne vous ne demande pas la lune, on vous demande une vérification… Évidemment s’il faut que je vous apporte un cadavre, qu’en ferez-vous après ? Non, je suis désolé, Monsieur, mais cela ne va pas. Même si cela vous déplaît en tant que consulat. Je vais aller à l’ambassade de Russie, je vais aller à la police française porter plainte, y compris contre toutes les personnes qui empêchent la découverte de la vérité, et éventuellement par tous les médias à qui je peux avoir accès. »

« Je comprends Monsieur, si vous voulez je peux essayer de vous passer mon chef de service qui vous expliquera la situation. De mon côté, je vous le dis, moi je répète les instructions qui sont ce qu’elles sont, je ne peux pas faire tout et n’importe quoi, sur un simple coup de fil qui est basé sur des supputations… »

Pierre l’interrompt. Il passe les bornes ce monsieur. Des supputations… De toutou géographe amateur il est devenu logicien détective :

« Non Monsieur, c’est un mot que vous ne pouvez pas utiliser, Il faut qu’on soit clair… »

Et de plus il veut montrer ses quenottes :

« Si Monsieur Sion a disparu qu’est-ce que vous voulez que… Comment on peut se baser sur un coup de fil de quelqu’un qu’on ne connaît pas… »

Il serait inutile d’essayer de lui faire comprendre l’incohérence de son discours. Soit il a déjà essayé de téléphoner, et sa dernière phrase n’a aucun sens. Soit il a menti. Alors Pierre le contre :

« Mais je ne vous connais pas non plus, à ce moment-là. »

Inutile ! Il veut continuer à se montrer vexant :

« … De je ne sais d’où et qui dit, tiens, Untel a disparu. »

Alors autant renvoyer toutou à la niche, et dans ce domaine, Pierre ne s’en laisse pas conter… ce ne sera pas la dernière fois :

« Vous êtes en plein délire, excusez-moi, passez-moi votre supérieur… oui à la limite vous pourriez m’accuser de mensonge, mais pas de supputation. »

Toutou se défile, queue entre les jambes :

« Je ne vous accuse pas de mensonge, je ne vous accuse de rien, Monsieur. »

Et pourquoi se priver d’enfoncer le clou ?

« Et moi je vous accuse de ne pas nous protéger. Je vous accuse de faire un blocage administratif, alors, s’il vous plaît, passez-moi votre chef puisque vous ne voulez pas m’expliquer les choses. »     

« Très bien. »

« Oui très bien, et si cela vous ennuie, c’est comme ça. »

« Bonne journée. »

Cela clôt cette belle séquence représentative de la courtoisie française et de l’aide aux ressortissants.

« Je vous en prie. »

Le téléphone est passé sur une autre ligne. Une minute plus tard, l’entretien reprend avec un nouvel interlocuteur.

                                                                                                 (À SUIVRE)

[1] : Quand on aime Jacques Brel…

[2]: À la mémoire de Jacques Brel, encore… et pas fini.

PARLONS FINANCES

Pourtant, nous reprenons le fil directeur de l’urgence. Il faut accumuler le plus de renseignements, en tenant compte de l’inconnu qui, pour sombre qu’il soit, recèle un faible espoir : si l’argent est le mobile de l’affaire, si un quelconque groupe retient l’enfant, si Christophe et Dina sont captifs quelque part, nous devons prendre des dispositions, et elles passent par l’argent… l’argent, moteur de tant de crimes, et parfois nécessaire pour en limiter les effets.

Nous vérifions nos comptes en banque. Le compte des dépenses courantes du ménage est intact. Mais les sommes qui y transitent sont modestes. Rien d’attirant par rapport à mon compte, détenu par BFORBANK. C’est le plus important, la réserve de capital, et il est intact.

Soulagement, mais aussi, nouvelle interrogation, et non des moindres ! Christophe avait accès à ce compte. Alors, que devient notre hypothèse de la captivité et des sévices pour le faire parler ? Totalement fausse, ou, pire encore ?

Je dois aussi vérifier mon compte HSBC, si peu fourni qu’il soit. Christophe en possède le code, mais aussi le nouveau boîtier de sécurité instauré par la banque. Or, je ne l’ai pas.

Ici une explication technique s’impose. Ce boîtier nécessite une activation préalable. Étant aux USA, nous avions décidé avec Christophe de ne la mettre en service qu’à notre retour en septembre. Mais en attendant Christophe l’avait récupéré chez nous et emmené à Saint-Pétersbourg. Cet arrangement tenait compte de nos déplacements respectifs, et du fait que nous devions nous retrouver en Russie en automne 2013.

Alors, j’appelle le service-client qui m’apprend que plusieurs tentatives de connexion ont eu lieu le 20 août. Je suis bouleversée, Christophe a-t-il était torturé pour donner des informations ? Dans ce cas, les a-t-il « lâchées », uniquement sur ce compte peu fourni nécessitant le codage complémentaire ?

Je suis prise au dépourvu et atterrée, si bien que je ne demande pas de précision, mais la date du 20 août reste gravée dans ma mémoire. Un nouveau boîtier me sera fourni.

Nous verrons par la suite combien cet épisode d’intérêt majeur pour la reconstitution du crime sera « oblitéré » par la banque, qui, très curieusement ne retrouvera pas trace de ce « petit détail ». Parfois les intérêts du client et du banquier divergent, et les enregistrements de l’appel n’ont jamais pu être vérifiés. Il faudra se contenter de leur « vérité ». À cause de cela, une partie du poids de l’accusation tombera.

Cela était le début d’une longue série de « dysfonctions », mot à la mode évitant d’autres qualificatifs plus virils ou plus légaux. Nous y reviendrons par la suite.

 

Toute personne qui a enterré l’un de ses proches sait combien la peine se conjugue avec la gestion des affaires courantes, et combien cette confusion des genres crée un malaise indéfinissable mais bien réel.

Dans ma situation, il faut surmonter les angoisses récurrentes, et revenir au courrier trouvé dans l’appartement de Newton, en particulier au courrier du syndic, réclamant quelque 7000 euros pour le ravalement de la façade, à payer au 1er septembre 2013.

Qu’importe cet appel de fonds dans l’histoire naturelle d’un crime, direz-vous ? Nous savons déjà que Christophe n’est pas venu à Paris, et ce document en est une preuve complémentaire. Circonstancielle dirait un avocat pointilleux. Certes, mais en accumulant et reliant les preuves circonstancielles, en leur donnant leur plein sens, on approche de la vérité.

Pour l’instant, prise dans la gravité de la situation, et sans obligation directe de payer, je laisse cela de côté.

Je ne le sais pas encore, mais le déroulé des courriers de cette banale comptabilité et de ses complications ultérieures pèsera lourdement dans l’affaire, et dans la condamnation finale.