Nous poursuivons ici la conversation du 18 octobre 2013 avec celle qui s’avérera l’assassin de Christophe. Mais pour l’instant, c’est un épisode complémentaire du jeu de dupes, ou, si l’on préfère, de notre tactique de faire les ânes pour avoir du son (à tous les sens du terme)
DE L’AIDE DU CONSULAT ?
Puis elle revient sur l’idée de demander de l’aide au consulat. Je ne me prive pas de la désillusionner (et j’ai quelque raison pour cela) :
— Je suis sûr qu’ils te rejetteront.
Mais puisqu’elle parle d’aide officielle, je reste sur le plan officiel et légal. J’explique la situation actuelle sur laquelle j’ai commencé à me renseigner : la présomption d’absence et le blocage des biens pendant dix ans. La réponse de Dina est digne d’une série américaine :
— Oh my God !
UN APPARTEMENT À LOUER ?
Je poursuis sur les conséquences en France et en Russie (législation équivalente, renseignement fourni par notre avocate) :
— Donc, je ne sais pas si tu peux légalement louer l’appartement.
Dina m’explique alors que la réalité russe est plus… légère :
— Ici, beaucoup de locations ne sont pas connues.
Nous saurons plus tard qu’elle agissait déjà en ce sens. Mensonges… mensonges… mensonges… Il ne reste plus qu’à laisser faire sous forme d’acquiescement tacite :
— Peut-être… si c’est différent en Russie, alors…
LES DOUBLES SENS D’UN DIALOGUE AVEC UN ASSASSIN
Il est temps de revenir au fond tragique de l’histoire, de reparler de Christophe en taquinant le goujon. Je m’intéresse à son discours, dans son intégralité : les mots, expressions, silences, ruptures de ton, affirmations qui peuvent être à double sens.
À ce moment de l’histoire, je me contente de suppositions, me guidant d’après mon expérience professionnelle, notre connaissance de Christophe, et, bien que circonstanciels, des faits incontestables prouvant les mensonges de Dina.
Ainsi, comment comprendre cette phrase de Dina : « Moi ; j’y pense tous les jours. » ? Et celle-ci : « Il n’avait pas beaucoup de contacts avec des gens […] Christophe est si secret. » ?
Aujourd’hui, le sens s’éclaire : oui l’assassin pense tous les jours à son crime… mais avec l’espoir de ne pas être inquiété ! Oui Christophe était réservé, secret, ne fréquentait pas d’amis à Saint-Pétersbourg… quelle proie facile à faire disparaître si nous n’avions pas eu ces liens familiaux si proches !
Je reviens sur la personne du professeur de russe de Christophe. Dina offre quelques renseignements :
— Son téléphone ne répond pas, elle s’est mariée avec un Français, elle doit être partie.
— Tu connais son nom ?
— Svetlana. Je ne connais pas son nom complet, mais le professeur de Christina la connaît mieux. Je rappellerai, parce qu’elle peut revenir. Elle donne des cours à l’Institut français.
PARLONS FINANCES
Cette promesse aussi partira dans le vent. Mais nous revenons à la question financière. Dina déclare :
— Il parlait de banque, et il ne voulait pas m’en dire plus, ce serait un problème si quelqu’un savait qu’il échappait à des taxes… Je ne connais pas les banques, il ne me l’a jamais dit, je n’ai jamais demandé.
Évidemment, elle cherche à nous entraîner sur un terrain qu’elle pense glissant. Mais glissant pour elle seulement, car Christophe, résident français en Russie, n’a pas à payer d’impôts en France, et comme nous ignorons tout de sa situation fiscale russe, qu’y faire ?
Je préfère revenir sur leurs dernières relations :
— Quand tu l’as vu la dernière fois, qu’a-t-il dit ? Quelque chose d’étrange ?
— Il était ennuyé… comme Christina demandait beaucoup, il était strict, il ne pouvait pas se relaxer. Quelquefois il venait et il marchait en rond dans l’appartement, il parlait à Christina, il faisait du vélo d’appartement. Je sentais que quelque chose l’ennuyait. Il était ennuyé par le mari de Florence.
Encore une insinuation, un pétard fumigène de plus. Dire que les relations entre Christophe et Hervé (le mari de Florence, donc beau-frère de Christophe et de Barbara) étaient au beau fixe serait faux. En dire plus ? Encore un pas qui tombe dans le vide. Cependant, je fais semblant de suivre :
— Penses-tu que le mari de Florence pouvait être en colère après lui ?
Elle en remet une dose :
— Christophe était ennuyé parce que l’autre voulait le poursuivre en justice, qu’il n’avait pas eu sa part… dans la société…
Quelle société ? Quelle part ? Ni la justice ni personne n’en a jamais trouvé trace. Encore une affabulation. Mais puisque Christophe n’est plus là pour répondre, elle peut appuyer sur le champignon. Plutôt que de la laisser s’échapper vers un nouvel écran de fumée, je préfère revenir sur terrain ferme : d’abord la conforter :
— Je suppose que tu as raison de louer l’appartement.
Puis, les questions proprement bancaires. Dina me dit que Christophe « parlait de choses générales, pas de détails. » Elle ajoute que « Christophe avait eu une consultation au sujet des taxes avec une société française à Moscou [Décidément, elle y tient] mais elle se « rappelle que la consultation était chère, environ 1500 € ».
Enfin, elle vient sur le terrain bancaire proprement dit :
— Je ne comprends pas, son compte bancaire est bas, et il doit une grosse somme. Il doit y avoir un autre compte […] parce qu’il a fait un transfert, je crois, en août, je ne sais pas s’il devait faire un autre transfert, car il disait qu’il devait payer pour la façade, et qu’il devait de l’argent à Barbara, je pense qu’il devait faire un autre transfert.
— Sais-tu d’où vient ce transfert ?
Elle n’hésite absolument pas :
— Oui, je sais…
Un appel téléphonique malencontreux chez Dina interrompt momentanément la conversation. Dommage ! Dina annonce que c’est Sacha, son amie. À bien y réfléchir, il est étonnant que Sacha ne glisse pas un mot pour nous. Maintenant, nous avons de fortes raisons de penser que l’appel venait de France. Mais cela a peu d’importance par rapport à la réalité qui finira par se dévoiler. Je reviens cependant à la charge :
— Sais-tu où ?
— Non, il ne m’a jamais dit le nom de la banque. Je sais qu’il ne voulait pas que le compte soit connu par la France…
Donc, si nous comprenons bien, Dina avance de « bonnes raisons » pour que Christophe soit parti en urgence voir une banque « il l’avait déjà fait en juin. » Mais nous savons qu’il n’en avait aucune.
Je poursuis en expliquant qu’il faut faire au mieux, payer ce que l’on peut, et suivre les progrès de la police. En attendant :
UN PEU DE FUMÉE
— Je ne peux pas imaginer qu’il ait eu une maladie, une dépression, pour disparaître comme cela.
Dina m’interrompt :
— Je n’y crois pas non plus.
Le moins qu’on puisse affirmer, maintenant, c’est qu’elle était bien placée pour le dire.
Sur le coup, j’explique lourdement que le ministère des Affaires étrangères s’en tient à l’hypothèse de la déprime. Bien entendu, pour la vraisemblance je précise que je ne peux pas le croire. Et Dina renchérit :
— Non, ce n’est pas possible.
Je reprends mon dialogue prétendu avec le ministère des Affaires étrangères, je précise que j’ai contredit leur hypothèse d’un voyage dans la grande Russie. Dina devient silencieuse. Elle doit réfléchir à ses réponses. Surtout quand j’avance l’hypothèse que le ministère des Affaires étrangères est peut-être paralysé par l’état des relations diplomatiques entre la France et la Russie, alors que la police est plus libre.
Après un silence prolongé, Dina revient sur son idée de conseiller professionnel. Car, dit-elle : « Il y a des choses que nous ignorons. Nous devons savoir à quoi nous attendre. »
J’approuve.
Nous nous quittons sur l’engagement de nous tenir au courant, avec un au-revoir de circonstance.