L’APPARTEMENT DE LA DERNIÈRE CHANCE

En ce 8 septembre 2013, les faits inquiétants s’accumulent, les mauvais pressentiments se confirment. Reste à nous rendre à l’appartement de Christophe, rue Newton, tout près de l’arc de triomphe. C’est peu dire que nous avons le cœur serré et l’œil aux aguets. Déjà nous examinons longuement les abords. Aucun mouvement suspect aux fenêtres. Les rideaux sont immobiles. Les échafaudages sont en place, ainsi que le cours des travaux de ravalement le prévoyait. Par ailleurs, les passants paraissent aller tranquillement à leurs affaires. Cependant, que l’un d’eux effectue un mouvement de retrait ou un arrêt inopiné, et nous voici interrogatifs et suspicieux.

Entrons dans l’immeuble. Premier détail : le courrier accumulé dans la boîte aux lettres. Nous ne doutons plus de la gravité de la situation. Mais ici, sur place, nous nous attendons au pire, et, pour le dire simplement, nous redoutons, la découverte de son corps – s’il était venu, contre toute apparence – ou la rencontre d’individus dangereux qui auraient mis la main sur ses clefs.

En effet, nous avons bien les clefs et le boîtier de désarmement de l’alarme, mais celui-ci est du type bouton d’action à distance. Donc, toute personne qui aurait pris possession du trousseau aurait libre accès au domicile.

Alors, pourquoi y allons-nous, avec ces craintes en tête ? Ne vaudrait-il pas mieux alerter la police, et attendre sagement ?

Certains le feraient et ils auraient probablement raison. Oui, mais nous ne devons pas être sages, au sens commun du terme. Ni peureux, ni risque-tout, nous sommes simplement poussés par une obligation d’action. Curiosité morbide ? Non ! Volonté de savoir, oui ! En jouant sur les grands mots, nous pourrions parler d’un devoir à accomplir. En restant plus pratiques, nous savons qu’il nous faut accumuler plus d’arguments pour faire appel à des autorités plus compétentes.

Quant à cet appel – ces appels, devrions-nous dire – nous verrons plus loin ce qu’ils deviendront… et ce ne sera pas à la gloire des services spécialisés.

Nous voici dans l’escalier. Évitons l’ascenseur, le modèle boîte à sardines, vitré, lent, tout du modèle film de gangsters où les imprudents se font piéger. De plus, à raison d’un seul appartement par étage, impossible de prétendre nous diriger ailleurs en cas de rencontre inopinée.

Une oreille attentive collée à la porte. Rien ! Décision prise, je désarme le système, nous entrons précautionneusement. Le sort en est jeté. Si c’est un piège, nous nous jetons dans la gueule du loup, en espérant une retraite rapide tandis que Pierre se prépare à un combat possible. Il n’a jamais été peureux, et, bien qu’ayant « raccroché les gants », son niveau de pratique des arts martiaux n’était pas négligeable. « Idiotie » diront certains. Peut-être, mais… nous sommes dans la place, que nous parcourons rapidement. Rien !

Je vais aux fenêtres glisse un regard entre deux rideaux, et… il est là. Lui, le gros bonhomme assis sur le banc, avec son imperméable gris qui détonne et sa grosse tête ronde. L’image parfaite du Russe qui n’a rien à faire ici, sauf…

Nous évitons tout bruit, vérifions que la porte blindée est bien verrouillée, sommes prêts à tout… y compris à regretter notre venue, mais sans oublier de nous préparer pour tout changement brutal de situation. Le gros, en bas, ne bouge pas. La rue Newton, bien que proche de la place de l’Étoile, est peu passante, les touristes n’ont rien à y voir ni à y faire. Même l’avenue Marceau, à ce niveau, participe de ce calme.

Les minutes passent. Par les ouvertures des différents rideaux, la surveillance des alentours s’organise : les rues adjacentes, les piétons un peu hésitants, les voitures stationnées, celles qui semblent chercher une place, et même les fenêtres voisines.

Je suis là, à écrire ces souvenirs, et le bonhomme évoqué plus haut est reparti, bien tranquillement, du moins en apparence, car si aucun fil ne le reliait à notre affaire, sauf celui, plus que ténu de nos craintes, qui connaîtra jamais les siennes et son destin ? Ainsi va l’une des grandes réalités du monde : nous ignorons notre entourage, et, jusqu’à un certain point, ceux que nous appelons nos proches nous sont étrangers. Et peut-être vaut-il mieux qu’ils le restent, car, éclairer les recoins de leur personnalité, nécessite une lumière bien vive et blessante. C’est ce qui m’arrive.

Commentaire (1)

  • Annie et Renato| 20 avril 2019

    C est …super le récit de l histoire !

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