SUITE DE DÉTAILS
Les jours suivants apportent leur lot de détails nouveaux.
Me Sologoub nous suggère de demander l’accès aux données personnelles de Christophe portées sur sa carte SIM.
Cela deviendra un nouvel épisode de Mission impossible, mais seuls, sans aide, et sans autre résultat que de nous montrer la face obscure de ces grandes sociétés qui nous font les yeux doux. Avec Yahoo, ce sera silence et mépris. Inutile d’entrer dans les détails. Quiconque s’est heurté une fois dans sa vie à ces montagnes d’indifférence et de slogans aussi débiles que mensongers pourra comprendre. Notre réalité, ce sont des blocages conjugués aux nécessités techniques et administratives de l’enquête, l’ensemble devenant plus que fatigant, usant.
Nous apprenons des mots nouveaux, comme apostille. Qui, dans la vie courante, sait ce qu’est une apostille ? Nous avions passé notre vie en ignorant ce point. Honte à nous ! Il est grand temps de nous rattraper. Nous deviendrons les champions de l’apostille.
Résumons : l’apostille est certificat fourni par le pays d’origine pour valider l’utilisation du document par le pays de destination.
Heureusement l’apostille est valable pour la Russie qui a signé la convention de La Haye de 1961, ce qui évite le processus plus complexe de légalisation.
Pour faire apostiller un document, il faut l’envoyer ou le porter dans un bureau spécialisé (à Paris : la cour d’appel de Paris, service de l’apostille, 34 quai des Orfèvres). Heureusement, les jeunes femmes de ce bureau parisien, comprenant la situation, nous ont toujours aidés avec le sourire et le mot gentil qui convenait. Nous les remercions encore.
C’est avant cette dernière étape que nous connaîtrons bien des surprises. Attention ! Il faut que le document en question soit “original”, ou « certifié conforme émanant d’une autorité publique ou d’une juridiction », ou un acte « d’origine privée ayant fait l’objet d’une déclaration officielle et revêtu du sceau de l’autorité publique. »
Encore faut-il que cet acte émane du ressort de la cour d’appel à laquelle nous nous adressons.
Une fois ces informations bien enregistrées, frottons-nous à la réalité, qui nous imposera parfois des contorsions non prévues par le législateur, variable d’un bureau à l’autre. Refusé dans telle mairie, et accepté sans problème dans l’autre. La tête du client ? Non, plutôt le “fonctionnarisme étroit” du guichetier- concierge irresponsable.
Pour notre première expérience, nous envoyons à Me Sologoub nos procurations dans leur version certifiée par notaire et apostillée. Nous utilisons DHL pour raison de rapidité et de sécurité. Si l’apostille est gratuite, son envoi grève le budget. Amis détectives amateurs, ou simples victimes « apostillantes », préparez vos porte-monnaie, vos dons de persuasion, votre patience, et votre bon cœur contre mauvaise fortune. Si notre premier exercice d’apostillant se passe bien, d’autres nous ménageront des surprises.
UNE QUESTION PENDANTE
Mais il y a plus grave. Contre ce drame qui nous frappe, nous envisageons parades et attaques.
En premier lieu, que faire en cas de demande de rançon ? Techniquement parlant c’est, en proportions variables, une question d’argent et de police… qui nous dépasse. Pourtant, si un tel message arrivait, que faire ? Ici, nous ne sommes pas les spectateurs désengagés d’un film, mais ses acteurs bien embarrassés, bien dépassés. En dépit de notre désespoir, nous ne perdons pas tout sens des réalités.
À ma connaissance, Christophe n’avait pas d’ennemi. Il demeurait seul à Saint-Pétersbourg, puisque Dina l’avait éjecté du domicile conjugal de Tverskaya, il était riche – de combien exactement, même moi, sa sœur, je ne le sais pas encore. Il n’avait pas d’amis, était plutôt casanier, réservé, et travaillait seul. Une proie quasi parfaite pour un kidnapping, surtout si l’enjeu est la petite Christina.
Déjà mon compte HSBC France a subi des tentatives d’intrusion, mais sans aucun retrait. Nous allons donc faire le tour de table des possibilités. Mais, une fois de plus, que nous sommes loin des séries policières !
L’ENQUÊTE COMMENCE EN RUSSIE
Le 20 septembre 2013, Me Sologoub n’a pas perdu de temps. Elle nous informe que personne au nom de Christophe ou répondant à son signalement n’a été transporté en ambulance ni ne se trouve dans les morgues de Saint-Pétersbourg.
Je veux clarifier l’information :
— Est-ce bien sûr ?
La réponse est claire :
— Tout est relié, morgues et ambulances. Il n’y a pas de doute.
Elle a dû nous prendre pour des demeurés. Imaginer qu’en ce XXIe siècle, dans une ville comme Saint-Pétersbourg, de telles structures ne soient pas reliées par informatique !
Comment traduire nos sentiments ? Les secousses de leur mélange chaotique ? Nous sommes étrangement satisfaits que ces premiers renseignements existent bien qu’ils nous plongent de plain-pied dans la terrible réalité. Par la représentation de Me Sologoub, d’une certaine façon, nous sommes sur le terrain et quelque chose se passe. Mais – comme les humains sont d’étranges créatures – autant nous sommes logiquement persuadés de la mort de Christophe, autant nous sommes soulagés de ne pas le savoir en une morgue.
Est-ce à dire qu’au fond de nous subsiste une lueur d’espoir le concernant ? Aujourd’hui encore nous ne saurions répondre à cette question, car la situation est plus complexe qu’une disparition unique. En ce mois de septembre 2013, depuis le seul et unique courriel de Dina – dont l’invraisemblance autorise les pires hypothèses – nous n’avons toujours aucune preuve de vie de toute la famille. Alors, si Christophe n’est pas dans une morgue, reste peut-être l’espoir d’un drame monnayable.
Le 26 septembre 2013 un courriel de Me Sologoub nous apprend que l’enquête a démarré en Russie, qu’une visite de l’appartement est prévue, et que la connaissance des travaux à Tverskaya attire l’attention de la police.
Dina sera convoquée le 27 septembre par l’agent Lee, du secteur central de Saint-Pétersbourg, spécialisé dans la recherche des personnes disparues.
Par ailleurs, elle nous demande des nouvelles des enquêteurs en France.
Nous sommes bien en peine de lui en donner, car, dans ce sens, la communication semble au point mort, et par la suite… mais je n’anticipe pas, car à chaque jour suffit son bol de crapauds.