CONSULAT DE SAINT-PÉTERSBOURG SEPTEMBRE 2013

Le passage de la chronique que vous allez lire ne correspond en rien aux relations que nous avons entretenues avec les consulats de Saint-Pétersbourg et de Moscou, depuis 2017, qui sont aidantes, polies, compréhensives, confiantes.
Nous remercions et remercierons longtemps ces dignes fonctionnaires, qui, en plus, savent se montrer humains.

Cela étant posé…

Ayant souvent voyagé à l’étranger dans des conditions inhabituelles, je sais que le consulat français doit être une bouée de secours en cas de danger. Je dis bien « bouée de secours » et non «  équipe de commandos marine ». Nous allons donc demander de l’aide – ne serait-ce que frapper à la porte de la famille : y a-t-il du monde ? – et comme nous ne parlons pas russe et n’avons aucun contact là-bas, nous aider à trouver un service russe adéquat.

Cela semble simple, évident. Mais quelques coups de téléphone démontreront le contraire. En voici les preuves, avec nos commentaires.

En 2013, le site web du consulat a au moins une rubrique où signaler une urgence.

Je laisse la parole à Pierre. Je ne suis pas de taille, je le sais. Déjà en temps normal, je suis trop gentille, je me laisse manipuler. Là, les larmes aux yeux, en faiblesse, que ferai-je ?

8 SEPTEMBRE 2013

Bien que les horaires officiels soient dépassés, ce 8 septembre 2013, Pierre tente le coup. La sonnerie tombe dans le vide sidéral et bureaucratique. Inutile d’insister, même pour le numéro des urgences !

9 SEPTEMBRE 2013

Le lendemain, nouvel appel. Une voix que Pierre dérange manifestement écoute à moitié (soyons optimistes) et lui dit de rappeler. Ce qu’il fait quelques heures plus tard. Maintenant, ce correspondant montre par ses réponses évasives qu’il se moque comme d’une guigne de notre histoire. Il n’y a plus de gants à prendre, Pierre lui demande de prévenir sa hiérarchie. À côté de lui, je suis écœurée de ce comportement lamentable.

10 SEPTEMBRE 2013

Le lendemain 10 septembre dans l’après-midi, nouvel appel. Un semblant d’honnêteté ou d’ouverture de parapluie doit émerger car le correspondant précise que son supérieur « n’a pas eu le temps de s’en occuper, mais qu’il se permettra d’appeler tout à l’heure M. Sion pour avoir des nouvelles et lui demander de vous rappeler. »

C’est l’incompréhension totale. Il faut forcer le barrage. Pierre reprend l’histoire en précisant bien que nous craignons un drame familial majeur.

Le correspondant (Pierre a tout de même demandé son nom, car « chez ces gens-là Monsieur, » on n’dit pas, Monsieur, on n’dit pas…[1] » lui coupe la parole :

« Cela arrive ce genre de situation, Monsieur, il est peut-être un peu tôt pour s’alarmer quand même… ». Un peu tôt… presque un mois !

Je vois Pierre prêt à sursauter, se contenir et reprendre son plaidoyer, ce qui amène l’autre à dire qu’il fera « des recherches ».

On sait ce que parler veut dire pour certaines personnes. Pierre n’est pas dupe, et enfonce le clou en insistant sur l’incohérence du courriel reçu par la messagerie au nom de Dina.

L’interlocuteur consent enfin à prendre notre numéro de téléphone, déclare comprendre (c’est fou ce que ces gens comprennent !), faire des recherches, appeler Dina, et que si nécessaire « on dépêchera quelqu’un sur place ». D’ailleurs, « s’il était décédé on aurait été averti rapidement. Les consulats sont prévenus immédiatement. »

Fin de conversation sur sa promesse de nous rappeler avec des informations. Nous sommes un peu soulagés qu’il évoque l’hypothèse « d’envoyer quelqu’un sur place ». Dieu ! Ce que nous sommes naïfs, parfois ! Dieu ! Comme le désespoir nous fait prendre des vessies pour des lanternes, et des bureaucrates pour des hommes ! La preuve nous attend.

11 SEPTEMBRE 2013

Nous rappelons M. L. au consulat.

Son ton est hésitant, gêné : Il en a « référé à son chef de service » (brave toutou ! On n’informe pas, on réfère… on révère presque). Il déclare avoir essayé d’appeler (nous essayons depuis un peu plus longtemps que lui, il n’a pas dû comprendre), mais tente de me faire admettre qu’il n’ira pas plus loin, et qu’il ne sollicitera pas la police russe. Sa proposition précédente « d’envoyer quelqu’un sur place » est passée aux oubliettes.

Pierre exprime son incompréhension devant cette volte-face. Si le consulat ne peut pas intervenir, il demande clairement « Qui peut intervenir, et que faut-il faire ? ».

À question simple, réponse simpliste : « Il est difficile de prévenir la police russe qui est la seule compétente pour mener une enquête, ici sur le territoire russe, ici on est en pays étranger. (Admirons la belle leçon de géographie et de stratégie : il est donc difficile pour un consulat français de nous mettre en relation avec la police du pays. Cette leçon, nous n’avons pas fini de l’entendre, serinée sur tous les tons. Chez ces gens-là, Monsieur, on n’fait pas, Monsieur, on n’fait pas…[2])

Pierre ose aller plus loin : il demande s’ils peuvent simplement vérifier si Christophe est sorti de Russie. Cela modifierait radicalement l’histoire. Alors là, il n’aurait pas dû envisager de telles extravagances :

 « Non, ce n’est pas qu’on ne veut pas faire. Mais comme je vous l’explique on ne peut faire que certaines choses. Nous ne sommes pas en métropole donc… au bout d’un moment on intervient dans une forme d’ingérence sur le territoire russe qui n’est pas souhaitable… »

Si je comprends bien, nous ne sommes pas en métropole (merci Monsieur le géographe !) et on risque un incident diplomatique ?

Rappelons que nous sommes sans nouvelles de toute une famille dont le père est français, l’épouse russe, et la petite fille française et russe. On pourrait imaginer que les Russes soient justement préoccupés du sort de leurs ressortissantes (mère et fille) à supposer qu’ils ne le soient pas du père français (l’avenir nous montrera combien cette hypothèse sera fausse).

Pierre monte le ton :

« Alors on peut se faire tuer sans que regardiez ? Qu’est-ce que cela veut dire pour un consulat ? Je vous dis qu’il y a quelque chose d’énorme derrière, d’énorme pour nous, à savoir la disparition de quelqu’un qui devait être là, d’un professionnel qui a des responsabilités dans une société, quelque chose de grave. »

Le ton fléchit de l’autre côté :

« Je pense qu’il faut prendre contact auprès des autorités russes pour leur signaler ça. »

Il pense (peut-être, mais de là à fournir la moindre aide, il y a un pas.) Pierre veut mettre les points sur les i.

« C’est quand même très simple aujourd’hui de savoir. On me dit qu’il est parti en voyage par avion, il n’est quand même pas parti en bicyclette depuis Saint-Pétersbourg, c’est quand même le B-A BA. On ne vous ne demande pas la lune, on vous demande une vérification… Évidemment s’il faut que je vous apporte un cadavre, qu’en ferez-vous après ? Non, je suis désolé, Monsieur, mais cela ne va pas. Même si cela vous déplaît en tant que consulat. Je vais aller à l’ambassade de Russie, je vais aller à la police française porter plainte, y compris contre toutes les personnes qui empêchent la découverte de la vérité, et éventuellement par tous les médias à qui je peux avoir accès. »

« Je comprends Monsieur, si vous voulez je peux essayer de vous passer mon chef de service qui vous expliquera la situation. De mon côté, je vous le dis, moi je répète les instructions qui sont ce qu’elles sont, je ne peux pas faire tout et n’importe quoi, sur un simple coup de fil qui est basé sur des supputations… »

Pierre l’interrompt. Il passe les bornes ce monsieur. Des supputations… De toutou géographe amateur il est devenu logicien détective :

« Non Monsieur, c’est un mot que vous ne pouvez pas utiliser, Il faut qu’on soit clair… »

Et de plus il veut montrer ses quenottes :

« Si Monsieur Sion a disparu qu’est-ce que vous voulez que… Comment on peut se baser sur un coup de fil de quelqu’un qu’on ne connaît pas… »

Il serait inutile d’essayer de lui faire comprendre l’incohérence de son discours. Soit il a déjà essayé de téléphoner, et sa dernière phrase n’a aucun sens. Soit il a menti. Alors Pierre le contre :

« Mais je ne vous connais pas non plus, à ce moment-là. »

Inutile ! Il veut continuer à se montrer vexant :

« … De je ne sais d’où et qui dit, tiens, Untel a disparu. »

Alors autant renvoyer toutou à la niche, et dans ce domaine, Pierre ne s’en laisse pas conter… ce ne sera pas la dernière fois :

« Vous êtes en plein délire, excusez-moi, passez-moi votre supérieur… oui à la limite vous pourriez m’accuser de mensonge, mais pas de supputation. »

Toutou se défile, queue entre les jambes :

« Je ne vous accuse pas de mensonge, je ne vous accuse de rien, Monsieur. »

Et pourquoi se priver d’enfoncer le clou ?

« Et moi je vous accuse de ne pas nous protéger. Je vous accuse de faire un blocage administratif, alors, s’il vous plaît, passez-moi votre chef puisque vous ne voulez pas m’expliquer les choses. »     

« Très bien. »

« Oui très bien, et si cela vous ennuie, c’est comme ça. »

« Bonne journée. »

Cela clôt cette belle séquence représentative de la courtoisie française et de l’aide aux ressortissants.

« Je vous en prie. »

Le téléphone est passé sur une autre ligne. Une minute plus tard, l’entretien reprend avec un nouvel interlocuteur.

                                                                                                 (À SUIVRE)

[1] : Quand on aime Jacques Brel…

[2]: À la mémoire de Jacques Brel, encore… et pas fini.

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