LE TROU NOIR

NOTRE COURRIEL DU 8 SEPTEMBRE 2013 À DINA

Nous ne pouvons que terminer cette journée par une autre tentative de joindre Dina, d’où notre courriel :

Bonjour Dina,

Je t’écris car je n’ai pas de nouvelles et je n’arrive pas à vous joindre, ni toi ni Christophe, donnez-nous des nouvelles aussi vite que possible.

Je vous embrasse

Barbara

Ainsi, en une journée – j’insiste bien en une seule journée après notre retour – nous sommes munis des renseignements fondamentaux. Nous sommes plongés dans la détresse, mais aussi dans l’action.

DE PLUS EN PLUS NOIR

J’ai écrit plus haut qu’une Dina inconnue de nous s’était démasquée grâce aux confidences de Christophe relayées par le témoignage de Paul Dupuy. Mais Christophe… ?

Je le savais secret, réservé, mais m’avoir caché cette situation à ce point, je dois avouer en être tombée des nues. Avec Paul, j’étais la plus proche de mon frère.

Il nous avait dit en avril 2013 que Dina Sysoeva lui faisait une forte pression financière, mais n’avait rien ajouté, si ce n’est que l’on en reparlerait lors de notre prochain séjour à Saint-Pétersbourg. En juin 2013, je me souviens lui avoir demandé si tout allait bien. Réponse tranquille de sa part : « Oui ».

Pourquoi ne m’avoir rien précisé ? Pourquoi ne m’avoir rien expliqué ? Cette question me hante encore aujourd’hui. Quelle somme de honte, d’orgueil de sa part… deux ingrédients couplés menant à un enfermement dramatique.

J’aurais dû mieux percer sa carapace. Christophe avait hérité des Cavrois, notre ascendance maternelle, la tradition du secret, de la réserve. Notre mère, y ajoutait une finesse et une distinction qui participaient à sa beauté et à son rôle de pilier de la famille. Manifestement, cette part maternelle ancestrale avait plus que contrebalancé en lui celle de notre ascendance paternelle, les Sion, cette exubérance couplée à une honnête bonté, une générosité de cœur et d’argent, dont notre père était un bel exemple, cette dernière qualité compensant nombre de ses maladresses.

Ainsi, Christophe manquait des deux contrepoids par lesquels nos parents s’équilibraient : la finesse de notre mère, et la joie de vivre de notre père.

Oh, je sais… j’aurais dû insister, exiger des explications, surtout en avril 2013… Mais je sais aussi que si je l’avais questionné, il se serait refermé sur lui-même, il aurait plissé les yeux avec ce regard noir, celui que je connaissais bien, et serait parti sans un mot. En fait, la seule personne qui aurait pu l’y pousser, notre mère, n’était plus.

Aussi sombre que soit la situation, la conclusion s’impose : un malheur est arrivé. La famille est injoignable. Elle est atteinte… si elle existe encore. Aussi brutal que cela soit, notre pensée se focalise sur la petite Christina. Résumons-là en une horrible phrase : « tant pis pour les parents, mais, la petite… »

Dans ces points de suspension se concentrent le nœud de l’affaire et celui de nos douleurs profondes. Une petite fille de bientôt quatre ans, prise dans un horrible filet. Celui d’un massacre ? D’une prise d’otages ? D’un réseau pédophile ? Elle est si mignonne, si innocente. Les craintes, les échafaudages logiques, les sentiments horribles se mêlent et nous abattent. Une réaction viscérale nous serre : tout pour la petite !

UN COURRIEL SIGNÉ DINA

Le 9 septembre au matin, surprise : nous recevons un courriel signé de Dina. Le texte précise qu’elle fait des réparations dans l’appartement, que Christina est allé en maternelle et qu’elle est tombée malade et que Christophe est parti au Luxembourg « car c’est nécessaire ». Elle « l’attend, et nous aussi. »

À part l’information sur la petite Christina, qui peut être vraie (nous verrons par la suite la raison de ce mensonge), tout le reste est inquiétant :

  • L’appartement n’avait pas besoin de réparations,
  • Christophe n’avait aucun besoin de partir au Luxembourg pour ses affaires,
  • Chacun de ses voyages le menait à Paris.

Nous avons le choix entre plusieurs hypothèses :

Si ce message émane bien de Dina, pourquoi ment-elle ? Appel au secours déguisé ou autre ?

Mais il est si facile d’usurper une identité par courriel. La situation est peut-être pire.

Nous tentons de nous mettre en rapport avec elle par téléphone. Seule réponse, un message en russe, incompréhensible pour nous, sans même la possibilité d’enregistrer quelques phrases.

Une autre fois, musique en boucle.

Si bien que le même jour je lui réponds en insistant : « J’ai vraiment besoin d’entrer en relation avec Christophe. Peux-tu lui dire de me téléphoner aussitôt que possible ? »

Je poursuis en lui souhaitant de bonnes choses pour elle et la petite, et je lui demande son numéro de téléphone.

Il n’y aura aucune réponse avant le 28 septembre, quant à son numéro de téléphone, comme tant d’autres questions, nous l’attendons encore !

 

Commentaire (4)

  • Annie et Renato| 28 avril 2019

    Vous avez dû en passer des nuits blanches !

    • PIERRE| 9 mai 2019

      Des nuits blanches… de bien mauvaises, qui ne sont pas tout à fait derrière nous. Mais heureusement, certaines à Saint-Pétersbourg, plus agréables. Je fais référence à cette période de l’année qui s’annonce où — latitude élevée et solstice d’été obligent — la ville semble jouir d’une luminosité quasi constante.
      À ce sujet, mon conseil littéraire du jour (rien à voir avec notre histoire) : lire Les Nuits blanches de Dostoievski.

      A bientôt j’espère

      Pierre

  • Pascal Monin| 9 mai 2019

    Bonjour,

    Je pense que votre chronique, longue et courte à la fois, est tout à fait légitime.
    Tout ce que vous avez vécu est tellement étonnamment rocambolesque et noir…
    Le retracer sur plusieurs mois vous permettra sans doute de distendre quelque peu ce que vous êtes encore amenés à vivre et, d’une certaine manière, de le mener à terme par l’exercice de l’imagination – notre admirable cerveau ne travaille pas autrement…

    Au bout du compte, la fin de votre récit convergera peut-etre avec l’apparition d’une lumière réelle au fond du tunnel, lumière où se résoudront à la fois la sortie du long tunnel d’angoisses (ainsi sans doute que de luttes), et la réalisation d’une conclusion heureuse – toutes proportions gardées -, encore en suspens, pour l’avenir et la vie de votre petite nièce et filleule.

    Donc continuez ? nous vous lisons et vous soutenons de l’espace de notre regard

    • PIERRE| 9 mai 2019

      Bonsoir Pascal,

      Oui, cette chronique est légitime et nécessaire. Elle a commencé comme un dossier professionnel, ce qu’elle est encore. Mais un dossier dont il manquait tant de pièces, au début, qu’il tenait aussi mal debout que nous. Je ne souhaite à personne de vivre ce que nous avons enduré pendant cette période dite du trou noir. Et puis, une image a suffi à nous en faire émerger : lorsque nous avons vu Christina vivante. Mais, cela je le raconterai plus tard.

      L’imagination — la machine à image dont il est question — est nécessaire, tant qu’elle ne se prend pas pour la folle du logis. Je la vois plutôt en cheval aussi bien dressé que possible, à qui on laisse en confiance la bride sur le cou, à qui on pardonne quelques fantaisies, et même quelques ruades qui nous testent (il faudrait l’en remercier). Et puis, on se remet en ligne. D’une image à l’autre, à condition qu’elles soient fortes, le film apparaît. C’est ce qui s’est passé. Ainsi, j’ai pu sonder les profondeurs de l’assassinat, mécanisme de déconstruction-construction ou de construction-destruction, que je détaillerai dans la chronique. Mais nous n’en sommes pas là ce soir.

      Merci pour cet échange

      Pierre

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